Chroniques

Diagnostic du Syndrome d’Ehlers Danlos ou le parcours du combattant, témoignage

Le diagnostic du syndrome d’Ehlers Danlos est tellement problématique qu’il divise les spécialistes. Les patients vivent en moyenne 20 ans d’errance médicale. Ayant vécu cette errance et ce parcours du combattant pour avoir mon diagnostic, j’ai décidé de témoigner.

Mon premier diagnostic en centre de référencement, raté à 1 point

La première fois qu’un médecin me suspecte le SED, août 2018

À 24 ans, j’avais pour diagnostic une « fibromyalgie », je commence un suivi en centre anti-douleur. Je rencontre une spécialiste de la maladie et chercheuse. Elle m’explique que c’est une pathologie problématique puisque la médecine actuelle n’a pas encore réussi à en trouver la cause. Certaines pistes sont explorées, il pourrait s’agir d’un dérèglement des transmetteurs de la douleur.
Elle m’évoque une autre problématique, près de la moitié des patients souffrent en réalité d’une autre pathologie, plus rare. Selon elle, les médecins diagnostiquent trop facilement une fibromyalgie lorsqu’ils ne trouvent pas la réelle cause.

Elle voit dans mon dossier que je suis hyperlaxe, je lui montre mes bras tordus, elle est impressionnée, elle me pose alors la question « est-ce qu’on vous a déjà parlé du syndrome d’Ehlers Danlos ? ».
J’avais trouvé le nom en faisant des recherches sur l’hyperlaxité et connaissais une chaîne youtube, mais ne me sentais pas légitime. Non, aucun médecin avant elle ne m’en avait parlé.
Elle me demande si la sensation d’être compressée me fait du bien, bizarrement oui. C’est le début des bas de contention, le mot fait pas sexy, mais en fait ça l’est (choisissez les noirs). Elle constate que j’ai eu de nombreuses entorses et des lésions ligamentaires. Elle décide de me diriger vers le centre de référencement de la maladie et fait un courrier en ma faveur.

Le rendez-vous en centre de référencement, février 2019

Le médecin qui me suit insiste sur mon cas, je n’ai « que » 6 mois d’attente pour rencontrer les spécialistes au lieu d’un an.

J’arrive dans une immense bâtisse, comme j’ai pris le bus avant, je suis déjà épuisée. Au secrétariat, je remplis un premier questionnaire. Ensuite, on m’installe dans une pièce, avec une table et un nouveau questionnaire. J’ai l’impression que c’est l’un des tests les plus importants de ma vie, j’ai un temps limité pour le remplir.
Il y a plusieurs questions où j’aurais aimé avoir la présence d’un médecin pour demander des informations. Il y a plein de points où je n’étais pas sûre de ma réponse. Ce sont ces questions mal remplies qui ont été déterminantes, rien que de repenser à ce moment, j’en ai la gorge nouée…
Il y a une partie « histoire de la maladie », je suis très embêtée, il ne me reste que peu de temps pour décrire 15 ans de souffrances. Étant une ancienne étudiante en lettres, il me faut une demi heure pour préparer un brouillon, alors comment décrire l’histoire de ma vie en 10 minutes et une dizaine de lignes ?

Je vois ensuite un médecin (enfin!). Il se contente de lire le questionnaire et ne me pose que peu de questions.
Il démarre des examens, pour vérifier mon hypermobilité. Il me tord le corps dans tous les sens, il me fait horriblement mal. Plus jeune, j’arrivais à faire les mouvements qu’il cherchait, mais là, j’ai déjà trop de rhumatismes pour réussir, je suis devenue raide…
Un autre médecin arrive, une femme. Elle lit les notes de son collègue, ne me pose pas de questions et m’annonce que même si j’ai des symptômes qui évoquent le Sed, mon cas n’est pas assez grave pour avoir un diagnostic. Elle me dit « vous n’avez pas de symptômes grave type fuites urinaires ». Selon elle, j’ai un trouble du spectre de l’hypermobilité, dû à ma maigreur et des douleurs à priori psychosomatiques.

Ils me recommandent de continuer la kiné et commencer l’EMDR, une technique de psychothérapie… En sortant de cette consultation, je pleure. Je ne me suis pas sentie écoutée, les médecins étaient froids, j’ai eu l’impression qu’ils m’ont pris de haut. Ils m’ont jugée parce qu’à l’époque, comme beaucoup de patients chroniques, je consommais du cannabis. Ils ont insisté sur mon suivi psychologique alors que je venais pour des douleurs physiques.
Le compte-rendu de la consultation reçu par courrier m’a choqué. Il ne reflétait pas mon cas et comportait des erreurs. « Il n’existe pas d’hyper extensibilité cutanée », alors que j’ai vraiment la peau élastique, comme vous pouvez le constater sur cette photo de mon propre corps. « Pas de luxation » , alors que j’ai déjà eu de nombreuses subluxations, mais sans en avoir conscience. « Aucun symptôme digestif ni uro génital en dehors d’un certain degré d’acidité gastrique » alors que mon estomac a toujours été problématique pour moi, comme je l’explique sur mon article Sed & estomac.
Enfin, « n’en présente pas les critères de la classification 2017. Elle présente un tableau de pathologie qui peut être secondaire à un niveau de maigreur important.» Relire ce compte-rendu me hérisse le poil et me donne envie de cracher comme un chat.

Les problèmes des critères de New York, classification 2017

Des années après, je découvre que les critères de New York sont un débat au sein de spécialistes de l’Ehlers Danlos.
Le professeur Hamonet, un médecin qui a consacré sa vie à étudier ce syndrome explique dans plusieurs article que cette classification n’est pas un instrument de diagnostic et parle des conséquences sur la mesure du score de Beighton.

Des critères durcis pour rester une maladie rare, une question d’argent

Il explique que le Sed est classé comme maladie « rare ». Or il semblerait que les malades soient plus nombreux que l’on ne pense. Perdre cette étiquette de maladie rare coûterait des subventions aux chercheurs. C’est pourquoi les critères de diagnostic ont été durcis. Surtout pour le type hypermobile, le seul dont le gène n’a pas encore été identifié.
Il rapporte les propos d’un généticien, « il faut restreindre le nombre de cas diagnostiqués pour mieux permettre aux généticiens, « noyés » par le nombre de patients, de progresser. Le résultat est une catastrophe pour les patients qui ne sont pas reconnus par un instrument qui n’est pas conçu pour eux ».

Ces critères et tests ne sont pas représentatifs de la maladie.

Ces critères ne prennent pas en compte de nombreux symptômes des patients comme les rétractions des muscles ou les kystes. C’est le sentiment que j’ai eu en lisant mon compte-rendu, je me suis demandé où étaient la totalité de mes symptômes, même les visibles, comme mes kystes.

Il décrit les problématiques du test, voici un extrait de son article sur Beighton :

«  le test de Beighton a des limites et la place qui lui est donnée dans le diagnostic du SED nous semble excessive :

  • Il varie dans le temps. Il peut être négatif alors que, dans l’enfance ou l’adolescence, la personne examinée pouvait placer un pied derrière sa tête. De toute façon nous avons observé que l’hypermobilité diminuait souvent avec l’âge dans le SED. Il peut aussi être absent chez un membre d’une famille et être présent chez d’autres membres de la même famille.
  • L’examen peut être faussé par les douleurs et les contractures musculaires.
  • Par ailleurs, il ne teste que quelques articulations, négligeant les épaules, la pronosupination, le poignet, la rotation du cou toutes très concernées dans le SED.
  • Enfin, le score de 4/9 qui est retenu peut être obtenu avec un recurvatum des coudes et des genoux à 10°, ce qui est banal sur l’ensemble de la population féminine jeune. 

La conclusion est qu’il faut, sans attendre, reconsidérer les conditions du diagnostic d’Ehlers-Danlos, abandonner la classification de New York qui conduit à des erreurs diagnostiques graves et s’appuyer sur les critères du diagnostic qui ont été scientifiquement démontrés par des publications médicales »

Quand je lis ceci, je me dis que mon diagnostic était une grosse blague. Mon hypermobilité a effectivement variée au fil des années. Certaines articulations où je suis hypermobile ne sont pas dans le critères de Beighton, comme mes  épaules et poignets…
Dans un autre article, il explique que l’élasticité de la peau n’est étudiée qu’à certains endroits précis, au niveau de la main. Évidemment, ce n’est pas là où mon étirabilité est le plus visible…
L’autre grosse blague est que j’ai obtenu 4/9 lors de ce premier diagnostic… Quand il explique que les erreurs de diagnostic coûtent à la santé des patients, je ne peux m’empêcher de me demander à quel point un diagnostic posé plus tôt aurait changé ma vie…

Ce dessin de Ninis et sed est tellement plus représentatif que ces « critères »…

Autre fait choquant concernant le test de Beighton

Beighton est un généticien qui a étudié le Sed, mais aussi la différence de mobilité articulaire entre population noire et blanche. Ce test repose donc sur une base raciste, ce que dénonce le professeur Hamonet, comme on peut le lire sur cet article du Gersed.

On peut y lire :
« Beighton donnera son nom à un test d’hypermobilité en 9 points, application d’un test utilisé pour comparer la mobilité articulaire des Noirs et des Blancs en Afrique du Sud. Il deviendra une référence pour beaucoup de cliniciens. Pourtant, il est imparfait, variable, souvent mal appliqué et mal interprété; il sert trop fréquemment, à l’instar de l’étirabilité, à éliminer un diagnostic pourtant évident devant la présence d’autres symptômes tout autant significatifs. »

Le rendez-vous en centre de santé, août 2020

Je ne rentre plus dans les critères de la fibromyalgie, mes symptômes se sont aggravés

Après ce rendez-vous en centre de référencement, j’abandonne l’idée d’avoir un Sed, je me contente de la « fibromyalgie ».
Même si je ne croyais pas trop en la théorie du « psychosomatique », je suis une patiente modèle et je tente tout pour aller mieux. Je continue la psychothérapie et commence l’EMDR avec une sophrologue absolument géniale.
Grâce à ce suivi, je ne suis plus en dépression mais j’ai toujours mal. J’ai appris à être positive malgré la douleur et me suis libérée de blocages émotionnels. Malgré cela, mon état physique empire.

J’ai dorénavant un fauteuil roulant pour les grosses sorties(rares), mes douleurs sont de plus en plus fortes. Je peine à me muscler en rééducation, seul l’ostéopathie me soulage (comme par hasard), j’ai un rendez-vous tous les mois où mon praticien remet mon corps en place.

Suite à un changement dans ma vie, je retourne vivre chez ma mère. J’y découvre des vestiges de mon dossier médical. Dès 2003 je passe des examens pour des lombalgies persistantes, j’avais 9 ans.
En discutant avec ma mère, je constate que j’ai bien des « troubles type fuites urinaires »(bye bye ma dignité…), toutes les femmes en ont après un accouchement mais moi j’ai pas le bébé qui va avec. J’aurais donc pu avoir mon diagnostic puisque j’avais des symptômes dont je n’avais pas conscience.

Étant donné l’aggravation de mes douleurs et de ma perte de mobilité, je passe de nouveaux examens. Toutes mes échographies révèlent des tendinites : poignets, coudes, épaules, genoux. Au poignet gauche j’ai une lésion du ligament scapholunaire avec diastasis. J’avais peut être déjà cette lésion au moment du diagnostic raté, mais n’ayant pas passé d’arthroscanner, elle n’a pas été vue. Et mon poignet s’est détérioré.

Je repense au syndrome d’Ehlers Danlos dans lequel je me retrouvais beaucoup. Je découvre que j’ai manqué de peu le test de Beighton. Je trouve un groupe facebook de patients et partage mon histoire. De nombreuses personnes confirment que le Sed est plus que probable, et qu’elles aussi ont eu un diagnostic « fibromyalgie » avant.
Une jeune femme vient me parler. Elle a une histoire tellement proche de la mienne que c’est hallucinant. Elle aussi a rencontré la même généticienne, qui lui a dit exactement les mêmes propos, qu’elle avait des douleurs parce qu’elle était trop mince. D’autres personnes vont me parler de ce médecin, en la qualifiant de « sans cœur » ou « inhumaine ».

Je revois la spécialiste du centre anti-douleur qui me suit depuis maintenant plus d’un an, elle m’annonce : « vous ne rentrez plus dans les critères de la fibromyalgie ».
Elle revient sur la piste de l’Ehlers Danlos et renvoit un courrier pour demander un nouvel avis aux généticiens. Ils n’ont pas répondu. Elle me fait un autre courrier pour demander l’avis d’un autre spécialiste, dans la structure où travaille le professeur Hamonet. Le courrier date de novembre 2019, j’ai mon rendez-vous en août 2020.

Mon vrai diagnostic, l’étape qui a changée ma vie

L’attente du rendez-vous a été difficile. Presque un an à me demander si je découvrirais enfin la vérité sur mes douleurs, ou si j’allais continuer d’être en errance médicale. Mais aussi avoir peur d’être reçue de la même manière…

Cette fois-ci, je suis en fauteuil roulant. Il y avait un questionnaire à remplir à domicile. Je vois un premier médecin qui a lu mon dossier avant la consultation. Il me pose des questions, prend en compte quand je lui dis qu’avant j’arrivais à faire certains mouvements. Il me fait passer des tests, me dit que je suis proche du diagnostic. Ce n’était que la première partie, son confrère va chercher d’autres critères.
L’autre médecin va re-vérifier certains points, il m’explique que c’est important d’avoir deux paires d’yeux et deux cerveaux pour observer un patient. Je lui dis que son confrère a vérifié l’étirabilité de ma peau uniquement au niveau de ma main, je lui montre mon bras chewing gum, il valide ce critère.

Contrairement à l’autre structure, le diagnostic ne se fait pas en une journée. On me fait également passer des examens médicaux.
Je passe notamment une bodypléthysmographie épique. L’examen consiste à vérifier le souffle. On est dans une cabine, il faut souffler dans un genre de tuba. J’ai très mal pendant l’examen. Au moment d’enlever le tuba, ma mâchoire reste coincée et de travers, je ne peux plus parler. L’infirmière me regarde avec de grands yeux paniqués, elle a l’air terrifiée. Je respire un coup et me reboite, ce n’est pas la première fois que ça m’arrive. Sur mon compte-rendu on peut lire « EFR anormales (luxation mâchoire) ». Là, je me dis que j’ai de bonnes chances d’avoir mon diagnostic cette fois-ci ! Par contre j’ai un peu peur de faire de la plongée…

Un mois plus tard, j’ai enfin mon diagnostic, et haut la main cette fois-ci ! Je suis connue comme « la patiente qui s’est déboîté la mâchoire ». Le médecin me dit que c’est typique d’un Sed type hypermobile. Cette fois-ci, je valide Beighton, parce qu’ils pratiquent aussi ce test, même s’ils le trouvent incomplet.
Le médecin qui m’annonce ma maladie a un discours qui me soulage de la douleur psychologique causée par mon premier diagnostic. Il me dit « Comment ont-ils pu rater votre cas à ce point là ? », il est réellement choqué de mon parcours et des propos que l’on m’a tenu.
Il me confie avoir travaillé avec eux par le passé et être en désaccord, mais que même sans cela, leur attitude envers moi est inacceptable. Selon lui, mon cas est une évidence, mais ils sont réticents à poser des diagnostics hypermobile. Il m’explique que même si je n’avais été « que » HSD, donc atteinte des troubles du spectre de l’hypermobilité, j’aurais dû bénéficier d’un suivi spécifique, de vêtements compressifs, orthèses et autre matériel orthopédique.
Aussi, tous les patients atteints d’un Syndrome d’Ehlers Danlos (même type hypermobile) sont susceptibles d’avoir des complications dangereuses au niveau des aortes et artères, il est impératif de les contrôler.

En sortant, je pleure, mais cette fois-ci de soulagement. J’ai enfin trouvé des médecins qui comprennent ce qui se passe dans mon corps. J’ai une ordonnance de plusieurs pages pour des vêtements compressifs, de nouvelles attelles. Ca a vraiment changé mon quotidien, diminué mes douleurs, amélioré ma qualité de vie.
Je peux enfin faire des malaises et savoir quoi dire aux pompiers qui me ramassent par terre. Refaire une demande MDPH pour avoir une vraie reconnaissance et surtout, l’aide dont j’avais besoin.

 

Pour conclure, on s’en fout d’être dans les référencements, l’important c’est d’avoir enfin le nom pour pouvoir bénéficier d’une prise en charge adéquate et améliorer la qualité de vie des patients.
Pour se faire diagnostiquer, il existe des centres de compétences, il faut une recommandation du médecin. Certains rhumatologues connaissent le Sed et peuvent poser un diagnostic.
C’est difficile de se faire diagnostiquer quand on a une maladie rare, peu de médecins connaissent et les spécialistes sont tellement peu nombreux que les délais d’attente sont longs.

 

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Handi_mermaid (blagues, humour sur la maladie et le handicap)

Chroniques d’une patiente

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4 commentaires

  1. Chauveau a dit :

    Bonjour,
    Suspectant le SED pour mon cas je serais intéressée de savoir dans quel centre vous avez eu votre premier diagnostic ?
    Merci par avance

    1. J’ai d’abord été en centre de référencement à Garches, si vous obtenez votre diagnostic là-bas tant mieux, mais leurs méthodes sont douteuses, si vous n’êtes pas à un stade avancé de la maladie ils vous snobent…
      C’est au centre Ella Santé à Paris que j’ai été enfin diagnostiquée, et surtout ai obtenu une prise en charge qui a amélioré ma qualité de vie. Le plus important est d’avoir le bon diagnostic, le référencement c’est franchement secondaire.
      Dans tous les cas, il faut un courrier de recommandation de votre médecin, et ensuite s’armer de patience, les délais sont longs.
      Bon courage, force à vous

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